La nuit, les enfants dorment
2018
La nuit, les enfants dorment
2018
Pendant six mois, j’ai photographié Alice, sept ans, dans son environnement familial et amical. Très souvent avec son amie et voisine, avec laquelle elle passait tout son temps libre. J’ai commencé à la photographier sans dispositif très précis, avec l’idée centrale de me laisser guidée par l’imaginaire et le regard d’un enfant, dans son activité principale : le jeu. Je ne cherchais pas à dresser un portrait de l’enfance mais plutôt à faire émerger ce que pouvait être le regard d’un enfant sur le monde, avec l’idée de retourner le regard omniscient de l’adulte vers l’enfant, comme un miroir inversé.
Je la photographiais, seule et à plusieurs, sans la présence d’adultes, même s’ils n’étaient jamais très loin, pour être au plus près de sa perception du monde.
Au départ, je n’avais pas d’idée précise sur la forme que prendrait ce projet, elle s’élaborait au fur et à mesure que la relation s’étoffait, du temps passé ensemble. Du début à la fin, j’ai été frappé par cette disposition propre aux enfants à passer d’un personnage à un autre et à vivre le réel et l’imaginaire sans distinction, le jeu constituant le moteur essentiel de cette mise à distance.
J’ai photographié Alice dans sa maison et dans la forêt, avec l’idée que les lieux ne soient pas identifiables. Souvent déguisée. Je cherchais à recréer un univers fictionnel. Très souvent, elle passait le week-end près d’une forêt. Déguisées, parfois sur mon initiative, elle s’inventait elle et ses amies des histoires directement inspirées par le décor de la forêt. Parallèlement aux prises de vues, j’étais très à l’écoute des histoires qu’elles se racontaient, qu’elles inventaient et qu’elles mettaient ensuite en scène. J’étais comme sur un tournage. Une spectatrice privilégiée. J’assistais au jeu se mettre en place, je n’avais pas besoin d’intervenir ni de diriger les comédiennes, leur improvisation était parfaite, la fiction était là. A partir de toutes ces images, j’ai souhaité créer un univers onirique, proche du conte, en résonance avec la “réalité” dans laquelle j’imagine que les enfants vivent, que les photographies résonnent comme des images directement sorties de l’imaginaire des enfants, à cet âge où les rêveries, les peurs et les affabulations s’entremêlent pour nourrir l’espace personnel.